vendredi 9 novembre 2012

Haroun, par Sarah Haidar


















Haroun

Un enfant qui dessine le nom de sa mère pendant qu’un essaim de mouches amorcent un raid sur votre chair rassasiée de désert ; une musique iconoclaste qui gicle d’une machine au milieu d’une rumeur de félicité… La fenêtre, elle, susurre quelques brises légères annonciatrices de la nuit et la lune s’aventure sur des terres basses pour éclairer quelques uns de vos secrets.


L’enfant continue de colorer la courbe maternelle ; les mouches sont parties, désespérées par autant de paix ; les instruments se taisent l’un après l’autre lorsque tous les silences de la terre les embrassent et les font fuir ; la petite lucarne a maintenant la voix libre pour vous ouvrir les pores à d’autres voyages.

Ici, les dieux s’accouplent dans les nuages puis se confessent au ciel, piégés entre une étoile souriante et un bleu prodigieux. Et lorsque l’enfant aura fini de caresser sa mère réinventée sur la page blanche, lorsque les vents entrant par la fenêtre révèleront l’ultime et l’inusable, lorsqu’enfin la nuit se dénudera, libérée des griffes des lampadaires, lorsque viendra ce moment indicible où tout s’apaisera et cessera de nuire à l’harmonie du monde, alors la foi reviendra dans ces lieux…

Mais croire en quoi ? Peu importe car il est devenu risible de greffer une quelconque vérité sur un quelconque nom ou visage, il est devenu certain que la certitude tue tout ce qu’il y a de sublime et de libre en nous, il est devenu hideux de rivaliser avec la beauté abstraite en la figurant dans l’espérance d’un absolu esthétique. Pourquoi nommer et dire lorsque ce « quelque chose » d’indicible vient vous offrir toutes les jouissances sans rien vous demander, seulement ce soupçon de promesse de ne jamais revenir en arrière, vers cette vie creuse où vous aviez naguère l’habitude de meubler vos tourments avec des mots et des prières.

Tandis que vos regards cherchaient vainement un sanctuaire à vos souffrances, un enfant avait déjà esquissé son paradis, des musiques aériennes franchirent des murailles et des temples, les gestes et les paroles sortirent de la mort de la sémiotique pour reconquérir leur non-sens et, ainsi, leur liberté.

Et si vraiment ces lieux que l’on dit désolés pouvaient croire en quelque chose, en quelqu’un, quelle joie en tireraient-ils ? Ne serait-ce pas un poids de plus sur leurs frêles consciences et leurs corps démembrés par le vent ? Ici, dans ces contrées où la vie apparait puis se dilue entre deux slogans, où la liberté devient le tout petit mot qui abrite une immensité d’espérances, rien ne sert de croire à l’au-delà car le paradis est sur terre : il est la terre qui attend ; l’enfer est, lui, embusqué dans le moindre soupçon de disette ou de maladie vicieuse imperméable aux invocations…

Alors, il suffit seulement de croire en cet enfant qui, arraché aux souffrances génétiques, reconquiert son innocence dans la calligraphie maladroite des couleurs maternelles. Il suffit de suivre ses doigts dans leur danse langoureuse sur les blancheurs originelles et plonger dans son regard voguant au loin, sans rien rechercher, sans rien espérer… La foi, c’est lui. Le visage d’une possible Seigneurie, c’est le sien. La fin des inquiétudes est dans cet instant qui lui appartient lorsqu’il trace sur la feuille un simple dessin libérateur. Il s’appelle Haroun. Il a huit ans. Il vit dans un camp de réfugiés sahraouis…

Sarah Haidar

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